Interview de Lise du blog Rainbow-Berlin

tuyau-rose-berlin J’ai décidé d’interviewer Lise du blog Rainbow-Berlin suite à un commentaire qu’elle avait mis sur ce blog. Je ne la connaissais pas, je ne connaissais pas son blog, je ne connaissais pas Berlin et pourtant, elle a trouvé plein de trucs à me raconter. Ca a donner l’interview que voici (merci Lise). Comme quoi n’hésitez pas vous aussi à mettre des commentaires si vous avez des choses à raconter.

Lise, tu tiens un blog plutôt fouillé sur la ville de Berlin. D’où te vient cette idée ? Tu vis là bas ?

D’abord, Guten Tag et merci pour l’interview. Ca me fait très plaisir.

Alors. Bon. Berlin. J’y habite depuis 2009 – ce qui en fait le lieu où je suis restée le plus longtemps jusqu’à présent. Je suis arrivée en tant qu’étudiante en échange à la Technische Universität de Berlin en Betriebswirtschaftslehre – oui, c’est le nom barbare pour dire étude en business. La ville m’a tellement plu que j’ai décidé d’y rester à la fin de mes études, alors que la plupart de mes camarades de classe décidaient de retourner en France dès que possible (bon, et je suis tombée amoureuse, ce qui n’a pas aidé non plus). J’ai tout de suite aimé le côté décalé de Berlin, moi qui avait toujours eu l’impression d’être à côté de la plaque en France. J’ai adoré l’ambiance, la vie légère, cette ville gigantesque mais avec une atmosphère de ville moyenne, ses lacs et ses plages, ses qautres vraies saisons avec beauuucoup de neige en hiver… bref, tout tout tout ! J’ai trouvé des gens qui partageaient mon idée de la vie et des amis fidèles sur lesquels je pouvais compter. J’ai commencé ma vie d’adulte, et une chose menant à une autre, ben… je suis toujours là.

L’avantage, c’est que je connais bien la ville, maintenant, même si elle change rapidement et qu’il est difficile de tout suivre. Je l’ai aussi découverte avec plusieurs états d’esprit : d’abord, celui de la touriste qui vient d’arriver, puis comme une étudiante erasmus qui fait (trop) la fête, puis en tant que jeune fille à la recherche ardue de boulot, puis j’ai eu mon premier boulot, mon premier chômage, un stage mal payé, des factures, une voisine chiante, des engueulades avec le Arbeitsamt (Pôle Emploi allemand)… et vivre tous ces épisodes de mon existence à Berlin m’a donné la possibilité de voir la ville sous différents angles – et la société allemande aussi.

Je ne suis jamais allée à Berlin mais tout le monde m’en parle sans arrêt. Toi qui connais bien, est-ce que franchement cette ville vaut le coup ou est-ce encore une de ces modes où les gens s’entichent d’une ville pour se la raconter comme c’était le cas pour New York il y a quelques années ?

Oui. Pour certains (beaucoup) de touristes, c’est définitivement le côté trendy, fashion et in de Berlin qui attire. Ils envahissent Berlin-Mitte de Mai à Septembre, s’extasient sur la Porte de Brandenbourg, achètent des faux passeports de la RDA sur la Potsdamer Platz, font une tête triste devant les différents mémoriaux, sortent quelques phrases clichés de circonstance. Et font grimper les prix du simple au double. Ces gens n’arrivent pas avec le bon esprit pour découvrir Berlin, je pense. Ils consomment la ville comme un produit, ont une check liste des trucs à faire ab-so-lu-ment. C’est dommage pour eux. C’est aussi dommage pour nous, Berlinois, qui subissons leur nuisance. Je pense que l’engouement retombera aussi vite que pour New York. En tout cas, je ne peux que l’espérer.

Mais à part ces touristes exaspérants (que j’essaye d’effrayer pour pas qu’ils viennent haha), Berlin c’est une ville merveilleuse à découvrir et non, on n’en fait pas trop. On y trouve de l’Histoire, mais aussi une ambiance très particulière, on peut aller à la plage (si si) ou passer une après midi à glander dans un hamac dans le parc. On a une vie simple à Berlin, mais aussi très riche en événements, en rencontre (et en bières :p). C’est un tout qui est difficile à décrire et qui ne peut que se vivre.

J’ai lu sur ton blog qu’il y a beaucoup de lieux abandonnés à Berlin ( tu en as même fait une rubrique) comment expliques tu ça ?

Il y a plusieurs raisons qui expliquent la présence de bâtiments abandonnés à Berlin, même en plein dans son centre (quoique que c’est de moins en moins le cas, vu que les rapaces d’agents immobiliers mettent de plus en plus leurs grosses pattes partout où ils peuvent…).

Après la Seconde Guerre Mondiale, Berlin était presque en ruine à cause des bombardements. Il a fallut nettoyer les rues, les rendre de nouveau habitables. En absence d’hommes, ce sont les femmes, les Trümmerfrauen, qui triaient les pierres cassées des briques à garder, et poussaient et chargeaient des chariots entiers de gravats. Elles étaient payées à l’heure et travaillaient sous l’autorité et la surveillance des vainqueurs.

La ville a à peine eu le temps de reprendre une vie normale que le mur était construit, les habitants séparés. Au milieu du tumulte du présent, les Berlinois ont perdu contact avec leur histoire architecturale et beaucoup de bâtiments sont tombés dans l’oubli – et beaucoup de bâtiments de l’époque nazie aussi. Du côté RDA, l’argent manquait pour rénover les bâtiments détruits – ou en tout cas, le gouvernement avait d’autres priorités que la rénovation du patrimoine allemand. A l’exception près de Nikolaiviertel, le quartier médial, que la RDA a complétement restauré pour en faire une destination de tourisme.

Après la chute du mur de Berlin, beaucoup de ces bâtiments ont été redécouverts par les Berlinois. Mais l’Allemagne n’a pas encore pris le temps de lancer des travaux de rénovation de tous ces lieux, alors en attendant, c’est nous qui en profitons ! Ou alors, ils sont rachetés pour faire des appartements de luxe – yerk !

Et, chose amusante, parmi ces bâtiments abandonnés, il y avait… des stations de métro. Les lignes de métro de l’Ouest passait en effet sous le secteur Est (notamment la ligne 8) et au lieu d’entreprendre des travaux pour changer leur tracé, l’Ouest payait l’Est pour utiliser les lignes existante (money is money, je suppose…). Afin d’éviter les défections, le gouvernement de la RDA a décidé d’effacer jusqu’à l’existence même de l’entrée des stations de métro. En sous-sol, les stations étaient gardées par des militaires 24h/24 et toutes les issues de secours avaient été condamnées. Imaginez l’horreur si le feu avait pris pendant que le métro passait en secteur soviétique…

Une autre raison du nombre élevé de bâtiments abandonnés dans Berlin est l’arrivée de la compétition capitaliste au moment de la réunification. La fabrique de glace, la fabrique de cigarette, la brasserie de BärQuelle… toutes ces entreprises habituées à une économie de marché protégée et réglementée par les hautes instances politiques n’ont pas su faire face à la compétition féroce venue de l’Ouest. Nombreux ont tenu pendant une dizaine d’années, mais au tournant du millénaire, ont dû fermer leurs portes. Pas assez rentables, leurs employés ont été jetés en pâture sur un marché du travail dont ils ne connaissaient pas les règles. Les bâtiments ont souvent été laissé tel quel, avec les documents et tout le bazar parfois, dans l’espoir de rouvrir bientôt…

Dans le même registre, on retrouve des bâtiments politiques, à l’instar de l’ambassade d’Irak, dont les locataires ont fuit précipitamment le pays à sa réunification. Ce sont les meilleurs, car on y trouve souvent de « vieux » documents – pas si vieux, ils datent des années 70 à 80. C’est très étrange, le sentiment que l’on ressent, quand on a ces documents, ces visages, ces vies dans nos mains – si loin idéologiquement, et pourtant si près temporellement.

Tristes histoires que celle-là, mais qui font le régal de gens comme moi, qui aiment l’exploration urbaine (et les documents moisis hahaha)

Et les rencontres ? Tu as du découvrir des gens passionnants (ou pas du tout) ? Comment sont les Allemand(e)s par rapport au Français ? Qu’est ce qui t’as marqué ?

Ah ça ! Berlin est très propice aux rencontres, surtout l’été. Les gens sont facilement abordables et partages souvent leurs bières. Le truc qui marche bien pour rencontrer des gens, c’est le BBQ. Il suffit d’arriver près de gens faisant un BBQ et de demander si on peut partager le feu. Et paf, tu te fais des potes pour une soirée – ou pour une vie !

C’est d’ailleurs assez amusant de voir qu’en fait, je n’ai pas tellement d’amis Allemands. Car à Berlin, il y a peu d’Allemands, en général. Mais je suis fière de compter dans mes amis trois vrais Berlinois, qui habitent à Berlin depuis des générations ! C’est la méga classe parce que c’est hyper rare !

Sinon, quand on fait des soirées chez moi, on est dans une mini Europe : des Espagnols, des Polonais, des Allemands, des Autrichiens, des Ukrainiens, des Néerlandais… un peu de tout. Par contre, je suis la seule et unique Française ! On a aussi des nationalités exotiques : un Libyen, une Marocain, un Argentinien… c’est culturellement super enrichissants et intellectuellement très stimulant. Par contre, bonjour les incompréhensions et les fossés culturels.

Sinon, les Allemands. Alors, les Allemands sont des gens très calmes, très posés. Les femmes ne sont pas très féminines en général, plus pratique dans leurs fringues que sexy. Sandales Birkenstock plutôt que talons aiguilles. Elles n’en sont pas moins jolies, cela dit. Les hommes sont timides et n’aiment pas prendre les devants et flirter. Je les trouve moins vantards que les Français et franchement plus respectueux des femmes, sauf pour les Allemands d’origine turque, qui n’hésitent pas à siffler les filles dans la rue. Bon, ce sont des généralités, hein, une impression générale. Mes amis allemands ne sont pas tous comme ça par exemple.

Ce qui m’a marqué aussi, c’est la place des femmes dans la société. D’un côté, l’Allemagne est une très mauvaise élève en ce qui concerne la parité, surtout pour les postes à responsabilités. Avoir des enfants forcent les femmes à rester à la maison au moins 6 ans à cause du manque d’infrastructures pour la petite enfance. D’un autre côté, plein d’organisations, de clubs de sport, d’associations etc. sont pour femmes seulement et les femmes sont considérées comme l’égale des hommes : pendant un rendez-vous, on partage l’addition, les femmes peuvent flirter etc. C’est très étrange et très paradoxal.

L’autre chose qui m’a marqué avec les Allemands, c’est leur incapacité à avoir des discussions passionnées et politisées. Surtout, ne pas faire de vagues. Surtout, ne pas parler des prochaines élections. Surtout, que le ton ne monte pas, surtout, qu’on ne soit pas en désaccord. Parlons jardin bio, au moins ça, ça n’est pas controversé ! C’est très étrange pour moi, car dans la famille, j’ai été élevée avec l’idée qu’on peut débattre et s’enflammer sur tous les sujets avec ceux qu’on aime sans pourtant que cela brise nos relations. Et ça, les Allemands, ils n’ont pas l’air d’aimer.

Bon, il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les Allemands – j’ai même une section spéciale sur ça dans mon blog – mais je pense que ces deux aspects sont ceux qui m’ont le plus marqués.

Tenir un blog pour toi ça représente quoi au final ? Une passion, une façon de gagner de l’argent ? Ce n’est pas ton métier principal, que fais tu à côté ?

Au début, je ne savais pas trop quoi faire de mon blog, j’avais juste envie d’écrire et de faire mumuse avec les outils du web, apprendre un peu de HTML, avoir des lecteurs sans voir leurs tronches (héhéhé). J’avais pris plusieurs pistes, écrits des articles sur des sujets différents comme par exemple, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe (je suis très engagée pour la reconnaissance des mariages en ce qui concernent les 11 nationalités exclues du mariage pour ous), ou des idées, des récits plus personnels. Mais tenir un blog, ce n’est pas facile, il faut de l’endurance, et beaucoup d’auto-motivation. Quand on acquiert un lectorat, on est responsable : publier souvent, répondre aux commentaires, s’engager dans une conversation digitale avec les lecteurs… Pfff, c’est tout un boulot !

Alors j’ai décidé de me spécialiser dans Berlin, parce que je pourrais en parler des heures, et je peux aborder pleins de sujets différents. Puis j’ai embarqué d’autres gens dans l’histoire, parce que j’avais envie de donner une vision cosmopolite de Berlin. Nous expérimentons la ville chacun de notre façon et c’est cette pluralité que je voudrais présenter à mes lecteurs. Par exemple, moi, j’aime pas du tout aller en boîte, et Berlin est très connue pour sa vie nocturne ; je trouve ça dommage que Rainbow Berlin n’en parle pas.

Concernant l’argent, je dois admettre que oui, je monétise un peu mon blog, mais avec des services que je connais et dont j’apprécie la qualité. Faire de l’argent n’est pas mon but premier, et d’ailleurs, j’ai laissé tomber beaucoup de systèmes de publicité invasive. L’argent généré est non seulement ridicule, mais ne sert qu’à être réinvesti dans mon blog : payer mon hébergement et mon nom de domaine annuel, payer un web-designeur pour refaire le design, ce genre de choses. D’ailleurs, si y’a un web-designeur qui passe dans le coin, qu’il me fasse signe, j’ai du boulot à proposer.

A côté, j’ai un vrai boulot (oui, je sais, à Berlin, c’est assez exceptionnel). Je travaille pour Bonial, une entreprise spécialisée dans la digitalisation des brochures publicitaires. Je suis responsable du trafic et de la stratégie d’acquisition mobile ; en gros, je travaille en webmarketing. Berlin a une culture de la start-up qui permet de trouver des boulots (souvent mal payés d’ailleurs) dans plein de produits innovants, ce qui rend le boulot hyper intéressant. On doit constamment se réinventer pour suivre et anticiper les nouveautés du web. C’est un côté de Berlin que j’aime, cette effervescence entrepreneuriale (et sa cohorte de stagiaires pas payés).

Bref, j’espère que je vous ai donné envie de découvrir ma ville, et à bientôt sur mon blog !

One comment to “Interview de Lise du blog Rainbow-Berlin”
One comment to “Interview de Lise du blog Rainbow-Berlin”
  1. Ton article est un peu long mais comme c’est impressionnant, j’ai pu terminer ma lecture. Je ne suis pas encore visité Berlin ni de voyager dans des villes de ses côtés… mais je connais un peu ses histoires… ton interview me fait la découvrir plus. Merci !

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